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Tribunes

Nous sommes agriculteurs. Pas de ceux qui pensent que l’avenir de notre secteur réside dans sa capacité à utiliser les mêmes pesticides dangereux – ou possiblement dangereux – que ceux toujours utilisés dans les autres pays du monde. Mais pas de ceux non plus à jeter la pierre ou l’opprobre sur ceux de nos collègues qui, coincés dans le système qu’est le nôtre, se sentent encore dépendants de solutions chimiques pour produire. 

Au cours des dernières semaines, nous avons souvent serré les dents. Sur nos fermes d’abord. Parce que le quotidien n’est pas toujours simple. La canicule et la sécheresse, conséquences du changement climatique dont nous sommes déjà victimes, sont encore venues, dernièrement, ajouter de l’inquiétude. Les récoltes sont aléatoires. Les stocks de fourrage pour nos animaux s’amoindrissent trop vite. Mais pas seulement. Depuis le début de l’été, nous avons aussi éprouvé de la colère – du désespoir, parfois – en ouvrant les journaux ou en nous connectant aux réseaux sociaux.

En juin, nous ne nous reconnaissions pas dans les combats syndicaux menés en faveur de la loi Duplomb. Parce que nous savions que nos besoins d’accompagnement étaient ailleurs. Parce que comme 93% des agriculteurs qui ont répondu à la grande consultation lancée par The Shift Project en 2025, nous sommes déjà engagés, ou prêts à nous engager, dans la transition écologique. Parce que nous voulons trouver les moyens de produire toujours plus en symbiose avec les ressources naturelles, pas les détruire. Parce que nous n’avons aucune envie de ressembler aux fermes-usines qui, pour s’épanouir sur le marché mondial, les exploitent au contraire sans se soucier de l’avenir.

En juillet, bien que n’étant pas concernés par les mesures de la loi Duplomb et partageant bon nombre de critiques lui étant faites, nous nous sommes parfois, néanmoins, sentis blessés, heurtés, caricaturés par une partie de la société engagée contre ce texte. Nous le savions déjà : le débat public manque cruellement de nuance et d’empathie. Mais il n’est pas toujours aisé de prendre le recul nécessaire, pour ne pas se sentir visé.

Et voilà qu’en cette fin de mois d’août, c’est une nouvelle en provenance de Bruxelles qui finit de nous assommer. Alors que nous craignions déjà la signature d’un accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur d’ici la fin de l’année, nous apprenons par une « déclaration conjointe » signée avec les États-Unis que pour régler son différend avec Donald Trump, la Commission européenne a décidé… de céder à toutes ses exigences.

A travers cette déclaration, l’Union européenne s’engage en effet, tout à la fois, à ouvrir en grand les portes de son marché aux denrées agricoles et alimentaires américaines – produites avec des pesticides dangereux et des antibiotiques interdits dans des fermes-usines destructrices de biodiversité – et à assouplir ses règles sanitaires pour faciliter les exportations étasuniennes. Dans le même temps, elle s’engage – en plus d’acheter beaucoup plus d’énergie fossile aux États-Unis, comme promis quelques semaines plus tôt – à rediscuter avec l’administration américaine de toutes les législations européennes adoptées au cours des dernières années pour tenter d’aligner un peu mieux sa politique commerciale sur ses engagements environnementaux : lutte contre la déforestation importée, mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, devoir de vigilance, …

Alors là, forcément, nous tombons de notre chaise. Pire encore, nous avons envie de renverser la table.

Mais nous le savons, nous n’y arriverons pas si nous restons isolés. Nous ne pouvons pas, nous seuls agriculteurs, nous battre contre l’incohérence des politiques européennes ; contre cette mondialisation dérégulée ; contre la suprématie systématique des enjeux de commerce sur la protection de la santé, de l’environnement et de la souveraineté alimentaire ; contre cette manie de nos dirigeants à régler tous les conflits diplomatiques à coup de libéralisation des échanges.

Cette manière d’agir, en silo, ne serait ni efficace, ni juste : parce que ce problème est l’affaire de tous ceux qui se soucient de l’avenir de notre planète, pas uniquement de nous qui craignons l’arrivée du bœuf américain ou du poulet brésilien dans nos rayons.

Alors nous formulons ce vœu. Nous souhaiterions que les centaines de milliers de citoyens qui se sont engagés contre la loi Duplomb se mobilisent à nos côtés, dans ce combat en faveur d’un commerce agricole plus juste et d’une protection accrue des systèmes agricoles durables que nous tentons tant bien que mal de faire perdurer ou d’installer. Nous voulons des ressources naturelles protégées. Nous voulons que nos enfants accèdent, pour longtemps encore, à une alimentation saine et de qualité. Nous voulons des campagnes vivantes et habitées.

Pour réussir cela, il y a une course folle à arrêter. Mais nos dirigeants politiques ne semblent absolument pas enclins à la freiner.

Il y a pourtant, de toute urgence, une vision stratégique européenne qui nous protège collectivement à exiger. Il y a aussi des comptes à demander au gouvernement français : que fait-il, concrètement, pour bloquer ces accords commerciaux d’un autre temps et ces renoncements que nous dénonçons ?

Voilà pourquoi, peut-être, nous devrions enfin essayer quelque chose de différent et faire l’inverse de ce qui a été montré durant tout l’été. C’est-à-dire interpeller ensemble – agriculteurs, consommateurs, citoyens – nos dirigeants, plutôt que de continuer à nous diviser.

Premiers signataires :

Philippe Collin, agriculteur en Haute-Marne (polyculture-élevage)

Meryl Cruz-Mermy, agricultrice dans l’Ain (polyculture-élevage)

Benoit Drouin, éleveur dans la Sarthe (volailles et de vaches laitières)

Bruno Dufayet, éleveur dans le Cantal (vaches allaitantes)

Benoit Merlo, agriculteur dans l’Ain (polyculture-élevage)

Sébastien Neveux, agriculteur dans l’Yonne (grandes cultures)

Marie Penn, agricultrice dans le Finistère (polyculture-élevage)

Angélique Thiallier, éleveuse dans le Puy-de-Dôme (vaches laitières)

Jean-Baptiste Vervy, agriculteur dans la Marne (grandes cultures)

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